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Le trésor du tumulus

Dossier : Le Trésor du tumulus

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Finalement, quoi de mieux que raconter une histoire pour parler de recherche archéologique et de toutes ces disciplines scientifiques auxquelles l’archéologie a recours pour donner une image aussi précise que possible du passé.

Nous voici donc en compagnie de Lucas, Léo et Max. Nous te proposons de les suivre dans leurs aventures et leur exploration de ce mystérieux tumulus.

Un dossier réalisé par Sébi et Jean-Marc avec la collaboration de Marie Demelenne, Docteur en Histoire, Art et Archéologie, du Musée royal de Mariemont
Première parution : Ébullisciences n°352, avril-mai 2014


« On va à la butte ? »
On est assis sur le parapet du petit pont avec Léo et Max. ça fait un moment qu’on est là, à jeter des cailloux dans la rivière et à se demander à quoi on pourrait occuper cette première journée des vacances de Pâques.
C’est Max, mon petit frère, qui vient de parler. Son prénom, en vrai, c’est Maxence mais il n’y a que mes parents qui l’appellent comme ça. Il vient d’avoir 11 ans. Léo, c’est ma meilleure amie. On se connaît depuis la maternelle. Elle habite à deux rues de chez nous. Je l’appelle Léo mais son vrai nom, c’est Marie-éléonore. Il n’y a que les profs, au collège, qui disent son prénom en entier et ça l’énerve. Moi, je m’appelle Lucas. Et le premier qui m’appelle Lulu, je lui rentre dedans !
« On va à la butte ? »
La butte, c’est une drôle de petite colline couverte d’arbres, au milieu de la prairie derrière le château. Mon père dit que c’est un tumulus*, une sorte de tombe construite pour un chef de tribu, et que ce serait plus vieux que l’époque des Gaulois.

 

 

♦ Un tumulus (mot latin qui signifie « tertre ») est une butte en terre ou en pierre élevée au-dessus des tombes.
Ci-contre : le tumulus d’Hottomont, en Brabant-wallon 

 

 

Je n’ai pas fort envie d’y aller parce qu’il faut traverser la prairie et que j’ai un peu peur des vaches mais comme je ne veux pas que Léo se moque de moi, je dis :
— Bonne idée, allons-y ! Il paraît qu’il y a un gros trou, un terrier de blaireau ou quelque chose comme ça. Je vais prendre une lampe de poche, on pourra essayer de voir à l’intérieur.
C’est comme ça que tout a commencé.

Arrivés près de la butte, on cache nos vélos dans les buissons et on passe sous la clôture en barbelés. C’est bientôt l’heure de la traite et toutes les vaches se sont rassemblées à l’autre bout de la prairie, près de la barrière. Il commence à faire un petit peu sombre.
Dès qu’on arrive à la butte, Max commence à fouiller à la recherche de l’entrée du terrier. Fouineur comme il est, on peut lui faire confiance : il trouvera ! On dirait un chien de chasse.
En moins de cinq minutes, nous voilà effectivement devant un trou au pied d’un arbre renversé.
— Ça n’a pas l’air d’un terrier, dit Léo. C’est vachement plus grand.
On dirait plutôt que les tempêtes de cet hiver ont déraciné ce vieil arbre et que la souche, en basculant, a dégagé cette entrée. C’est plus grand qu’un terrier mais ce n’est pas super large tout de même : si on veut l’explorer, il va falloir ramper…
J’allume ma lampe de poche pour jeter un coup d’œil. D’abord, je ne vois rien d’autre que des racines qui pendouillent bêtement mais en rentrant à moitié le corps dans le trou, il me semble apercevoir un mur, ou plutôt une voûte. En tout cas, il y a là des pierres qui sont grossièrement taillées et assemblées, pas de simples cailloux.
— Tu as raison, Léo, ce n’est pas un terrier, dis-je. Ou alors celui d’un blaireau maçon !
Max m’arrache presque la lampe des mains et se précipite pour regarder à son tour à l’intérieur.
— Waow ! On se croirait dans Indiana Jones ! C’est certainement un temple perdu ou quelque chose comme ça. Il faut absolument qu’on l’explore. Je suis sûr qu’on va y trouver un trésor !
Un trésor ? ça se pourrait bien… Je regarde Léo, je regarde Max, on est tous les trois bien d’accord : cette découverte est à nous et c’est donc à nous de le fouiller . Même avec une seule lampe de poche.
— Je suis la plus grande, je passe devant ! dit Léo.
— Et pourquoi toi ? Tu veux être la première à trouver le trésor, c’est ça ? lui répond Max.
— Ok, tu n’as qu’à y aller en premier si tu veux.
— Euh… Honneur aux filles ! Vas-y, on te suit.
Léo passe devant, la lampe de poche entre les dents, Max lui colle aux talons et je ferme la marche. Enfin, si on peut appeler « marche » le fait de crapahuter à quatre pattes entre des racines, des mottes de terre et des éboulis de vieilles pierres. En plus, comme c’est Léo qui a la seule lampe de poche, je ne vois presque rien. Mais j’ai senti quelque chose sous ma main. On dirait une pièce de monnaie.
— Léo, éclaire un peu par ici, je n’y vois rien !
— …
— Hé, je te parle ! File-moi un peu de lumière, je crois que j’ai trouvé une pièce de monnaie !
Pas de réponse. Non seulement Léo ne me répond pas mais elle n’avance plus.
— Les gars, je crois qu’il y a un os… (Ah, elle a enfin retrouvé la parole !)
— Je te confirme, oui ! On n’y voit rien comme ça…
— Non, non, il y a vraiment un os, là, qui dépasse !
Max la bouscule : « Quoi ? Laisse-moi voir ! »
Ah ouais, brrrr, … il y a effectivement un os, là, qui dépasse entre les pierres. Je sens mes poils se hérisser : un peu plus loin, à moitié recouvert de terre, un crâne semble ricaner en nous regardant de ses yeux vides.
— On dégage de là ! Tout de suite !
Il nous faut moins de 30 secondes pour faire en marche arrière le chemin vers l’air libre. Dehors, nous galopons jusqu’à nos vélos puis pédalons comme des déterrés jusque chez Léo sans que personne ne dise le moindre mot.
On se retrouve pour un conciliabule dans la petite cabane au fond du jardin. Je sors la pièce de monnaie de ma poche et je la frotte sur mon pantalon pour en retirer la boue qui y colle. On ouvre tous les trois des yeux comme des billes : elle est en or !
Max est tout excité : « Il faut absolument qu’on y retourne ! Je suis sûr qu’il y en a tout un tas ! Les os, ce sont certainement ceux du chevalier qui était là pour défendre le trésor ou alors ceux d’un explorateur qui est tombé dans un piège… » Il est comme ça, mon petit frère : il a eu la frousse de sa vie mais son imagination est plus forte. Il se voit tellement en Indiana Jones qu’il en oublie ses genoux qui tremblent.
Léo n’est pas aussi enthousiaste manifestement. Je crois qu’elle a eu vraiment très peur. Moi aussi, mais je suis vraiment curieux. Tout ça m’intrigue très fort : un tumulus, une entrée secrète, un squelette… Il faut qu’on en sache plus. Et puis, oui, peut-être qu’il y a tout un trésor…
— D’accord, on y retourne demain. On prendra des lampes de poche supplémentaires. Léo, tu viendras avec ton chien : il montera la garde à l’entrée et nous préviendra si quelqu’un vient.


Le lendemain, quand nous arrivons, c’est la tuile : il y a des voitures de police sur le chemin et un ruban bleu et blanc fait tout le tour du tumulus… Des policiers fouillent les buissons. Ils ont découvert l’entrée : il y a des types en combinaisons blanches qui en sortent le squelette.
Un gros monsieur avec un imperméable gris se dirige vers nous. Nous planquons vite nos lampes de poche.
— Salut, les mômes, je suis le commissaire Vandenbulcke. Dites donc, vous ne seriez pas venus fureter sur ma scène de crime, par hasard ? Il paraît qu’il y a eu du mouvement par ici hier soir…
— Une scène de crime ? Vous rigolez ou quoi ? Mon père dit que c’est une tombe vieille de plusieurs millénaires.
— Hé morveux, tu crois que tu vas m’apprendre mon métier ? On a retrouvé un macchabée et des fusils d’assaut là-dedans donc, si je dis que c’est une scène de crime, c’est une scène de crime ! Vu ? Allez, hop, déguerpissez !
On repart l’air de rien. Dès qu’on est hors de vue du commissaire machin-chose, Max explose : « C’est notre trésor, il est à nous, on l’a trouvé en premier ! »
— Vous savez quoi, les garçons ? dit Léo, je crois que le commissaire Vandenmachin, il cherche à faire main basse sur le trésor. Et qu’il va faire croire que c’est un meurtre pour que personne ne puisse fouiller le tumulus.
Elle est finaude, Léo. C’est bien possible qu’elle ait tout deviné comme ça. Et puis ça m’étonnerait pas : ce commissaire qui nous traite de mômes alors qu’on a plus de 13 ans, je ne l’aime vraiment pas.
— Lucas, tu as emmené la pièce d’or que tu as trouvée hier soir ? Allons la montrer à Monsieur Massart, le vieux bonhomme qui habite au château : il était antiquaire, je crois.

Cinq minutes plus tard, nous voilà en haut de l’escalier du château. Monsieur Massart nous reçoit bien gentiment. Il est vraiment très vieux, il n’entend pas bien, il se déplace très lentement. À l’intérieur, chez lui, tout est vieux aussi. On dirait un musée : des vieilles tapisseries, des meubles cirés, des vieux bibelots. Il y a même une armure de chevalier dans un coin !
En fait, Monsieur Massart n’était pas antiquaire, il était archéologue*. Et même s’il est un peu dur d’oreille, il est très intéressé par notre histoire. Je lui montre ma pièce de monnaie.

 L’archéologue est le scientifique qui étudie les activités humaines à travers les artefacts, c’est-à-dire les choses que l’homme a aménagées, fabriquées et utilisées. L’archéologue se charge des fouilles, de la mise au jour des objets (outils, vaisselle, armes…), des sites (campement préhistorique, ville romaine, cimetière…) et des informations (par exemple l’endroit de l’habitat où sont stockés les récipients, les armes, où on a fait du feu…).
L’archéologue ne fait pas que fouiller, loin de là. Avant d’ouvrir le sol ou de commencer l’étude d’un bâtiment ancien, il se documente, grâce à des cartes, des plans anciens, des archives, des objets qui auraient déjà été découverts sur le site. Ensuite, il commence la fouille au cours de laquelle il va enregistrer tout ce qu’il découvre. Il photographie, dessine, reporte sur plan et décrit ce qu’il voit au fur et à mesure de son travail. Les objets, même les plus petits fragments, sont collectés et soigneusement étiquetés en fonction de l’endroit exact où ils ont été découverts. Toutes ces informations, que l’on appelle les données, sont rassemblées afin d’être étudiées au laboratoire.
Souvent, l’archéologue s’associe à d’autres scientifiques, qui vont l’aider à comprendre ses découvertes et à les interpréter. Ensemble, leur objectif est d’écrire l’histoire du site et de présenter, dans un rapport et parfois un livre ou une exposition, la manière dont ses occupants l’ont utilisé à travers le temps. Par la suite, certains des objets découverts sont restaurés et exposés au musée. 

— Tudieu ! s’exclame-t-il.
Il s’approche de la fenêtre et sort une loupe pour l’examiner.
— Jeunes gens, vous avez fait là une bien intéressante trouvaille. D’ailleurs, vous voilà officiellement inventeurs* de ce trésor ou, à tout le moins, de cette pièce de monnaie si, comme je le comprends, le commissaire va essayer de vous mettre des bâtons dans les roues ! D’après ce que je peux voir, je dirais que cette pièce en or a été frappée au nom du roi d’Espagne, à l’époque des conquistadors. Oui voilà : on voit le portrait de Ferdinand et Isabelle, les «rois catholiques» et là, on distingue leurs armoiries. Deuxième moitié du XVe.
— Les conquistadors ? Mais il paraît que le tumulus est vieux de plusieurs millénaires ! Et puis les policiers ont aussi retrouvé des armes à feu !
— Vous avez parfaitement raison, jeune homme. Il n’y a pas grand-chose de cohérent là-dedans… Voici un mystère qui mériterait une enquête archéologique approfondie. Il se pourrait bien que nous soyons ici devant un joli cas de diachronie*. Je vous expliquerai ça plus tard.

  L’inventeur est la personne ou l’institution (musée, université, ministère…) qui met au jour un objet archéologique.
L’inventeur partage avec le propriétaire du terrain où a été réalisée la découverte les droits sur cet objet, c’est-à-dire qu’ils en sont tous les deux responsables et bénéficiaires. Aucun des deux ne peut ni le vendre ni le restaurer ou l’exposer sans l’accord de l’autre.
En Belgique, les fouilles ou les sondages doivent être autorisés par l’Administration de l’Archéologie avant leur commencement. Les personnes qui poursuivraient des recherches archéologiques sans autorisation, même sur leur propre terrain, sont poursuivies en justice et s’exposent à de sanctions comme la confiscation des objets qu’ils ont trouvés et à des amendes. En effet, chercher sans autorisation est considéré comme du pillage. Le pilleur détruit toutes les informations dans le seul but de mettre la main sur l’objet. L’objet découvert de cette façon, même précieux et rare, isolé de son contexte (tombe, cave, grotte…) est perdu pour la science car il ne peut plus rien apprendre à l’archéologue. 

 Un objet ou un site peuvent avoir été utilisés de manière différente à travers les époques, c’est ce que l’on appelle la diachronieUn même lieu a pu servir, à la Préhistoire, d’atelier de taille du silex puis être condamné par un tumulus où inhumer des morts durant l’époque romaine, avant d’être aplani au Moyen Âge pour devenir terre agricole. Ce même terrain pourrait de nos jours être vendu en vue d’y construire une école ou un grand magasin, par exemple.
Certains objets traversent le temps et sont utilisés au fil des siècles à des fins différentes. Une hache patiemment polie il y a 6000 ans a pu être récupérée par les Romains, qui l’ont utilisée comme aiguisoir pour leurs couteaux. Abandonné, cet objet a pu ensuite être trouvé par un mérovingien, vers le 7e siècle,  qui se fera enterrer avec, le trouvant beau et intéressant car ancien et rare. 

Max est complètement abattu : « Une enquête archéologique ? Comment voulez-vous qu’on fasse ? Ce fichu commissaire ne nous laissera jamais approcher du tumulus. Et en plus, on n’y connaît rien ! »
— Eh bien, il se trouve que moi, je m’y connais. J’ai gardé quelques contacts qui pourront s’avérer utiles. Nous allons tout faire pour récupérer ce trésor mais nous allons également essayer de dénouer cette énigme. Par contre, il va falloir travailler dans la discrétion la plus absolue. Voici comment nous allons procéder : vous vous chargez de récupérer des indices – je vous ferai une liste de ce qui est nécessaire – et de mon côté, je me charge de les faire analyser par des experts avec qui j’ai gardé le contact.
— On va devoir y aller la nuit, dis-je. Je n’aime pas trop ça…
— Hé, frérot, il ne fera pas plus noir à l’intérieur du souterrain parce que c’est la nuit !
Max est décidément prêt à tout pour son trésor.
— Pour commencer, jeunes gens, il faudrait que vous me rameniez d’autres pièces de monnaies. Je les ferai examiner par un ami numismate*.

 Le numismate est celui qui étudie les monnaies. L’intérêt des monnaies est très grand pour l’archéologue. Trouvées dans un contexte archéologique, elles permettent d’établir des datations relativement sûres et précises. Les personnages importants (empereur, roi…) qui y sont représentés et les nombreuses images d’architecture (comme sur nos billets et certaines pièces d’euro par exemple) en disent long sur l’époque à laquelle elles étaient utilisées.
Leur étude permet aussi de connaître les circuits commerciaux (qui paye avec quelle(s) monnaie(s) et sur quels territoires). 


Dès la nuit tombée, nous sommes retournés au tumulus. Heureusement, la foule du matin a disparu, il ne reste que le ruban « Police – Politie » pour en interdire l’accès. À l’autre extrémité de la pâture, une camionnette avec un gyrophare est garée sur le bas-côté. Un planton, chargé d’y passer la nuit, somnole au volant. Pour ne pas nous faire repérer, nous n’allumons nos lampes frontales qu’une fois à l’intérieur.
Parvenus au même endroit que la veille, nous plaçons quelques lampes de camping pour éclairer la petite salle. Léo a sorti son appareil photo et prend quelques images de l’ensemble de la pièce.
À l’endroit où nous avons aperçu l’os et le crâne, il ne reste rien que la terre fraîchement remuée par les policiers. Nous commençons néanmoins à fouiller minutieusement chaque centimètre carré de cet espace où nous tenons à peine debout.

— Ici, dit Léo, il y a un morceau de cruche ou de vase qui dépasse.
Elle se met à creuser soigneusement autour de l’éclat de céramique. Le reste du pot apparaît. Un vrai puzzle, il est vraiment en mille morceaux. Léo prend à nouveau une photo puis elle commence à ramasser les morceaux pour les mettre dans un sachet.
— Les archéologues adorent les pots cassés, dit-elle. On va ramener celui-là à Monsieur Massart pour sa collection.
— Waouw, regarde, il y a encore plein de pièces de monnaie !
Effectivement, on dirait bien que notre trésor était dans l’amphore. Max exulte et nous devons vraiment le calmer pour ramasser les pièces avec méthode. Nous les mettons également dans un sachet pour les faire examiner par l’ami numismate de Monsieur Massart.

Au moment où Léo se relève, son pied accroche quelque chose.
— Là ! dit Max. Il y a un bout d’os qui dépasse.
Brrr… j’aurais préféré que les policiers n’en aient pas laissés derrière eux. Max commence à le dégager. Je crois que c’est un morceau de côte. Nous continuons à retirer la terre tout autour en ayant soin de laisser les os en place. Finalement, c’est un squelette complet que nous trouvons. Il y avait donc deux corps dans ce tombeau. Peut-être un chef de tribu et sa princesse. Quand c’est fait, Léo prend quelques photos de l’ensemble du corps et de quelques détails qui nous paraissent bizarres : des morceaux de tissus, une boucle de ceinture, des boutons métalliques, un poignard tout rouillé, certains os qui sont fracturés.
— Il est tard, dis-je. Si on ne rentre pas rapidement, on va éveiller les soupçons des parents. On passe par le château pour déposer nos découvertes et on rentre vite à la maison.
— À mon avis, nos oreilles vont tinter : on est vraiment crottés et je ne pense pas que nos parents apprécieront.
De fait, les parents n’ont pas apprécié. On n’a pas fait les malins et tout de suite après la douche, on est allé se coucher.


Trois jours ! Il a fallu qu’on attende trois jours pour avoir des nouvelles ! J’ai cru que Max allait devenir fou, il tournait comme un lion en cage.
Quand nous arrivons au château, Monsieur Massart nous accueille avec un sourire jusqu’aux oreilles. On le dirait rajeuni de 10 ans !
— Ah, les amis, j’ai plein de bonnes nouvelles. Venez dans mon cabinet de travail, je vais vous expliquer tout ça.
Un cabinet de travail ? Je m’attends à un vieux bureau tout poussiéreux et encombré de vieux livres jaunis. Au lieu de ça, on se croirait dans le QG des Experts ! Il y a des ordis partout. Monsieur Massart est hyper-connecté ! Bon, il y a aussi tout plein de vieux livres et des piles de journaux : normal, notre hôte a au moins 100 ans !
— Installez-vous, je me connecte et nous allons pouvoir commencer notre vidéo-conférence.
Pendant qu’il pianote sur son clavier, des écrans s’allument les uns après les autres et des visages apparaissent.
— Laissez-moi vous présenter mes éminents amis : tout d’abord, le Professeur Rodrigo Alvarez, de l’Universidad de Cordoba, il est numismate et nous parlera des pièces de monnaie que vous avez trouvées ; le Docteur Suzanne Morel, anthropologue* au Musée de l’Homme de Paris, nous fera part des étonnantes découvertes qu’elle a faites sur base des photos du squelette ; il Dottore Gino Moriarti de l’Instituto delle Antichità de Milano est céramologiste*, il a examiné les morceaux de ce que vous pensiez être une amphore ; Natalya Simonova est doctorante à l’Université de Gand, elle est historienne de l’Art* ; Hans von Offenbach est pédologue* : il s’intéresse à la nature des sols ; enfin, Mr Augusten Burroughs, historien*, doyen de l’Intitute of Historical Research, de Londres.
Mesdames, Messieurs, chers amis, permettez-moi de vous présenter Léo, Lucas et Max, les inventeurs du trésor de Thoricourt. Voilà, maintenant que les présentations sont faites, passons aux résultats de vos analyses respectives. Professeur Alvarez, commençons par vous : que pouvez-vous nous dire des pièces de monnaie ?

 Le squelette est généralement la seule partie du corps humain à se conserver longtemps après la mort. L’anthropologue examine les os pour identifier les circonstances de la mort, les traumatismes (fracture cicatrisée ou non, os du dos abîmés par de lourdes charges…) et les maladies auxquelles le défunt a ou non survécu. L’analyse permet d’estimer le sexe, l’âge au décès, la stature. Il étudie également les caractéristiques de la sépulture : traitement du corps (incinéré ou inhumé, type de tombe, mobilier accompagnant le défunt dans l’au-delà (parure, offrandes, objets personnels…). Parfois une étude approfondie révèle des traces de virus, de parasites… En étudiant l’ADN ancien, on peut même émettre des hypothèses sur le regroupement d’individus au sein d’un cimetière (différentes tombes appartenant à une même famille par exemple). 

© Michel Maurin, Inrap

 Les fragments de terre cuite, de céramique (vaisselle mais aussi briques, tuiles, amphores, …)  sont parmi les matériaux les plus abondants découverts lors des fouilles archéologiques. Les céramiques se brisent facilement et sont souvent remplacées. La céramologie est l’étude systématique des objets de terre cuite. Les fragments sont lavés, triés, inventoriés, remontés, dessinés et étudiés. Les formes des céramiques, les matériaux employés, les décors et les techniques varient au cours du temps. Le céramologue utilise des catalogues dans lesquels les formes des céramiques sont répertoriées et classées, ce qui permet d’identifier un fragment et de reconnaître le récipient ou l’objet auquel il appartenait.
La céramique peut provenir d’un atelier local, que l’on reconnaît à la technique utilisée ou grâce au décor par exemple. Parfois, les archéologues découvrent des céramiques importées, qui peuvent venir de loin, ce qui renseigne sur les circuits commerciaux aux différentes époques. Image: 
© Michel Maurin, Inrap

© Hervé Paitier, Inrap

 Le pédologue est le scientifique qui étudie les sols. En observant la structure et les couleurs de celui-ci, le pédologue peut déterminer sa nature : naturel ou anthropique, c’est-à-dire modifié par les activités humaines. Le pédologue peut identifier des fosses, des fossés, des déplacements de terre, la mise en culture d’un terrain ou au contraire sa mise en friche.
Souvent le pédologue travaille en collaboration avec un géologue, s’il ne l’est pas lui-même. Le géologue étudie le sous-sol d’origine naturelle et toutes les caractéristiques des couches internes du globe terrestre. Image: 
© Hervé Paitier, Inrap

 L’histoire de l’art est la discipline qui étudie les productions artistiques (tableaux, architectures, meubles, objets quotidiens…) des hommes à travers le temps.

 L’historien est le scientifique qui étudie l’évolution des activités humaines grâce surtout aux sources écrites : archives, lettres, textes de loi, …

Le Professeur Alvarez tousse un petit coup pour s’éclaircir la voix :
— Je vous passerai les détails mais je peux vous dire ceci : ces pièces de monnaie sont toutes de grande valeur, ce qui réjouira certainement nos jeunes amis, mais le plus étonnant est que vous ayez trouvé au même endroit des monnaies d’origines et d’époques très différentes. Les plus anciennes dates du Haut Moyen Âge, les plus récentes sont des Napoléon. Nous avons donc bien là un trésor mais il est peu probable qu’il soit contemporain du tumulus dans lequel il était enfui…
— Les découvertes que j’ai faites sur les photos des restes humains sont également troublantes, intervient le Docteur Morel. Comme anthropologue, ce sont d’abord les clichés du squelette que j’ai examinés et il m’a semblé apercevoir des plombages sur les molaires supérieures. Ces plombages ne sont pas en or mais, étant donnée leur couleur, je dirais en alliage de mercure et d’argent. Une pratique médicale qui n’existe que depuis le milieu du 19e siècle. Par ailleurs, on trouve sur les côtes des traces de lésions qui ne peuvent être que des blessures par balles !
— Dottore, intervient Monsieur Massart, que nous ont révélé les tessons de céramique que vous avez examinés ?
— Écoutez, comme vous m’aviez parlé de monnaie datant des conquistadors, je suis assez surpris, moi aussi, par ce que j’ai pu observer : ces tessons proviennent d’un grès de type Laroche, quelque chose comme un pot à cornichons. Ils datent du début du XXsiècle, tout au plus.
— Mademoiselle Simonova, quels sont les éléments dont vous pouvez nous faire part ?
— Bonjour. Pour ma part, je me suis intéressée au tumulus proprement dit. Il est déjà visible sur quelques tableaux datant du 16e siècle. A priori, dans nos régions, les tumuli sont associés à la culture mégalithique : ces peuples néolithiques nous ont laissé les alignements de menhirs, les dolmens et les tumuli. Par contre, le fait que le couloir d’accès soit recouvert d’une voûte — une technique architecturale inventée par les Étrusques — interdit une datation aussi ancienne. Il pourrait donc s’agir d’une tombe gallo-romaine ou d’un monument mérovingien, je peux difficilement être plus précise pour l’instant.

Le Professeur von Offenbach prend la parole :
— L’étude de l’échantillon de sol que vous m’avez fait parvenir est également étonnante. J’y ai trouvé des restes d’explosifs mêlés à des terres plus anciennes… Sauriez-vous si la région a été le théâtre de combats pendant la 1re ou la 2e Guerre mondiale ?
— Oh oui, intervient le Professeur Burroughs, au début de la guerre de 14-18, il y a eu de nombreuses escarmouches dans la région, avant que les armées ne s’enterrent dans les tranchées de Flandre. Le musée régional d’histoire en garde un très mauvais souvenir : il avait été pillé par des soldats dont l’armée était en déroute. Les photos des restes vestimentaires – tissus, boutons, boucle de ceinture – vont dans le même sens. Ils appartiennent à un uniforme de fantassin de la 1re Guerre mondiale. J’ai pu les comparer avec les archives de l’époque. Quant à ce que vous pensiez être un poignard, il s’agit en fait d’une baillonette.
Tout ça est décidément bizarre. Il n’y a rien qui colle. Comme si on avait mélangé les pièces de différents puzzles : un tumulus gallo-romain ou mérovingien, des pièces de monnaie de tous horizons dans un pot à cornichons, un squelette avec des plombages récents, des traces d’explosifs, des soldats qui pillent un musée…

— Moi, je crois que je sais ce qui s’est passé, dit Léo.
Waow ! On est là en vidéo-conférence avec une demi-douzaine de sommités mondiales qui sèchent sur leur enquête archéologique et voilà ma Léo qui, du haut de ses 13 ans, leur dit « moi, je sais ce qui s’est passé » !
— Au début de la guerre 14-18, des soldats pillent le musée régional. Ils ne s’intéressent pas aux œuvres d’art, trop encombrantes. Ils ne ramassent que les pièces d’or et les mettent en vrac dans un pot à cornichons. Quand ils arrivent à Thoricourt, ils sont pris dans une embuscade et s’abritent derrière le tumulus. Ils sont blessés mais trouvent l’entrée du souterrain, peut-être dégagée par l’explosion d’un obus, et décident d’y cacher leur trésor. Un autre obus tombe sur la butte et les y enterre avant qu’ils n’aient pu en ressortir. Ensuite, les combats se déplacent vers le front de l’Yser… Et plus personne ne s’occupe du tumulus. Les arbres et les broussailles repoussent. L’hiver dernier, les tempêtes et les fortes pluies se succèdent les unes après les autres, le sol est gorgé d’eau, une rafale de vent plus forte que les autres déracine un arbre et ouvre à nouveau le souterrain que nous avons découvert. Quelqu’un nous a sans doute aperçu et a prévenu la police. Le commissaire Vandenbulcke débarque. Quand ses hommes remontent le premier squelette et le fusil, il reconnaît une arme de la 1re Guerre mondiale. Il sait, grâce aux archives de la police, qu’un trésor a été volé en 14-18. Il fait donc le lien entre les deux affaires.
— Mais c’était compter sans nous ! exulte Max.
— Mademoiselle, dit le Professeur Burroughs, il se peut que vous ayez trouvé la clef de cette énigme ! Vous avez bien plus d’imagination que nous tous réunis et cette imagination est bien nécessaire pour reconstituer une histoire. Je vous félicite !
— Je n’ai pas encore fait d’estimation exacte de la valeur de ce trésor, dit le Professeur Alvarez, mais il est certain que vous êtes à la tête d’une petite fortune, jeunes gens !
— De mon côté, dit Monsieur Massart, je préviens immédiatement les autorités compétentes pour que ce tumulus soit fouillé convenablement. Il me tarde de savoir s’il est mérovingien ou gallo-romain.
— Gallo-romain, c’est presque certain !
— Pas si sûr, il faudrait pouvoir en établir un relevé précis et voir comment il est orienté.
— Mérovingien, à coup sûr ! En Belgique, les tumulus gallo-romains sont attestés le long de l’ancienne voie romaine de Bavay à Tongres.

Et voilà nos spécialistes qui se mettent à parler tous en même temps. Chacun y va de son avis, cite une étude, un article, un confrère.
Je tire Léo et Max par la manche : « On va les laisser se disputer entre eux ! On a encore 10 jours de vacances et j’ai une idée. Venez, je vous en parle sur le chemin. »


— Bon, il paraît qu’on a plein de sous, maintenant.
— …
— Si on allait s’acheter des vélos pour faire une grande randonnée sur les traces de la guerre 14-18 ?
— Tu crois que je pourrais en acheter un avec 10 vitesses et des amortisseurs ?
— Oui, Max, je crois que tu pourras…

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